Cold Heat
VOLNAYA STAYA
Staya
(Вольная Стая - Стая)
2007
Année: 2037.
Un petit village à quelques kilomètres de Saint-Pétersbourg, au Café de l’Etoile.
25 personnes dans la salle.
Dernier titre des rappels: "Staya" :
Un petit village à quelques kilomètres de Saint-Pétersbourg, au Café de l’Etoile.
25 personnes dans la salle.
Dernier titre des rappels: "Staya" :
"Боль, вой, пламя
Желтых зрачков, красных флажков,
Рвет ночь стая,
Пробил час, небо против нааааааааааааааааааааааааааааааас !!!!!!!!!!!!"
Tintamarre de fin de concert, avec les guitares, la batterie et tout et tout. Le coup final asséné, un rideau rouge miteux se referme sur la scène.
La foule:
"DAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!!!!!!!"
Les lumières s'allument, puis le public s’en va, les cris s’évanouissent. Il ne reste plus que les cinq musiciennes dans le bar. Elles s’installent au comptoir, sur une chaise haute, un sourire timide aux lèvres, et commandent une vodka au tenancier. Après un brin de paroles échangées sur le concert de ce soir, Natali se lève pour aller fumer une cigarette dehors. Svetlana la regarde puis lui lance :
"Attends-moi, je viens avec toi. A tout-à-l’heure, les filles !"
Les deux dernières membres fondatrices du groupe sortent du bar. Il fait nuit noire dehors, et plutôt bon. Une étoile brille dans le ciel et illumine l’horizon. Les deux femmes s’asseyent sur le ponton qui ne leur offre d’autre alternative que de plonger leur regard sur la mer Baltique.
Quelques minutes passent, les cigarettes se consument…
Puis Natali laisse s’envoler les premières paroles :
"Tu te souviens… C’est comme ça que tout a commencé.
- Ah bon ? Il me semble que les premières fois, on finissait dans les chiottes à vomir tout ce qu’on…
- Non, non, je ne te parle pas de ça. Je te parle de la salle. Etroite, avec peu de monde, comme nos premiers concerts, avant qu’on ne remplisse les stades dans le monde entier.
- (soupir) Oui, sauf aux Etats-Unis. Et ce n’est pas maintenant que ça risque de se produire, vu que les Guns viennent de sortir Chinese Democracy. On ne parle que de ça, en ce moment. »
Les deux femmes restent pensives, les yeux rivés sur l’océan qui s’ouvre à elles, un filet de vent caressant leur visage marqué par le temps qui passe, la tête pleine de souvenirs de stades bondés, de couvertures de magazines et de feux d’artifices, la réussite et tous les excès qui l’accompagnent: la trilogie du sex, drugs & rock n’roll appliquée à la lettre, les déchirements d’ego, les explosions de line-up, les séparations dans la douleur, les carrières solo peu fructueuses, les reformations « d’amies pour la vie et même au-delà », les pieds sur une montagne de billets verts et la tête prête à replonger dans l’infernale spirale du succès, jusqu’à ce que le public se laisse guider par une nouvelle étoile, suive une nouvelle mode…
Natali reprend :
"On venait de sortir Staya. On avait réussi à monopoliser l’attention assez vite, finalement.
- Tu as vu comme on était accoutrées durant les sessions photos ? Comment veux-tu qu’il en soit autrement ?
- Oui, c’est vrai. Natali se met à pouffer de rire. J’avais horreur de ces tenues. Moi qui suis plutôt du genre mémère casanière à porter des robes de chambre en sirotant ma bergamote, j’en ai eu pour mes frais. Mais c’était cool.
- Ah, ah, oui ! Je me rappelle de la tête que tu faisais quand tu es sortie de la cabine d’essayage du studio avec ta tenue en cuir et tes manches-résilles. Tu as même dit…
- Ensemble: "Présentez-moi Shrek et j’accepte de coucher pour réussir" !
Les deux femmes éclatent de rire. Svetlana poursuit :
"Le pire, c’était Marine, notre bassiste de l’époque, qui était particulièrement menue : elle était tellement excédée par les réflexions qu’elle se prenait lors des concerts, genre "la seule planche à pain au monde à travailler dans le froid" qu’elle a tout plaqué pendant la tournée du deuxième album.
- Elle est devenue quoi, au fait ?
- Elle a fait carrière en Angleterre. Ca marche bien pour elle, apparemment. Elle est mannequin, maintenant.
- Ah bon ? Elle pose pour quoi ?
- Une enseigne de balais.
- Et Julie, notre première guitariste, tu sais ce qu’elle est devenue depuis son accident au bras ?
- Oui, elle a arrêté le monde de la musique. Elle ne jouait plus aussi bien depuis qu’elle s’est cassé le bras. Elle vit avec un gars maintenant, un Français, qui s’est cassé la jambe, lui. Elle n’a pas de chance, elle est tombée sur notre plus grand fan dans ce pays, il écoute en boucle notre premier album, tous les jours. Alors ça lui rappelle des souvenirs, forcément."
Les deux femmes sourient. Puis le silence s’invite un instant.
Natali allume de nouveau une cigarette. Svetlana la suit. Natali reprend:
"Staya avait eu de bonnes critiques à l’époque ?
- C’était mitigé. L'un des défauts évoqués était qu'aucun titre ne se détachait vraiment des autres, c'était bien fichu mais ça manquait d'hymnes. Certains parlaient de musique d’un autre âge, les années 80 précisément. D’autres arguaient que nous n’avions rien apporté de neuf dans le genre, que nous ne faisions que reprendre une recette maintes fois éprouvée. Les plus mauvaises langues disaient évidemment que sans notre physique et nos tenues, on n’aurait pas été bien loin.
- Oui, une femme dans le metal attire déjà pas mal de polémiques de ce genre, alors un groupe entier…
- Mais on a eu pas mal d’avis favorables également. Le metal qu’on pratiquait était sans prétention, efficace et mélodique. On ne se prenait pas la tête comme ce fut le cas plus tard. Il y avait la pêche, une certaine envie d’en découdre, et rien d’autre, hormis le fait d’écrire des compos qui accrochent… Certaines personnes ont apprécié ça. L’album se tenait bien, ça riffait sec, il y avait des solos sympas, de belles harmonies par moments, et on avait écrit quelques compos qui touchaient le cœur des gens.
- Oui, les deux ballades, l’une électro-acoustique et la dernière chanson de l’album, jouée intégralement au piano et portée par la voix de Ksenia. Elle ne faisait pas preuve d’une technique irréprochable, mais elle avait un beau brin de voix et elle aimait chanter, toute naïve qu’elle était. Le feeling au-dessus du reste. Les stades s’en rappellent encore.
- De quoi est-elle morte déjà ?
- Oh, c’était une pustule sur le visage, genre Lemmy Kilmister, sauf que c’était cancéreux.
- Et pourquoi ne joue-t-on plus cette chanson au fait ?
- Ben parce qu’on a récupéré l’équivalent vocal de Lemmy depuis. »
Leur deuxième cigarette terminée, les deux femmes scrutent l’horizon.
Un jour, il leur faudra arrêter tout cela, tourner la page, descendre du manège pour revenir à des considérations plus terre-à-terre, quitter le grand cirque du rock n’roll afin de mener une vie normale pour une femme de bonne famille. La question est : quand ?
Un bruit de pas dans le sable se fait entendre. Quelqu’un s’approche. C’est la chanteuse du groupe.
"Ben alors, les filles, vous fichez quoi ? Le patron paie sa tournée. Dépêchez-vous. Demain, on a une date à Moscou, je vous rappelle.
- Ah, c’est toi Monica. On arrive."
Les musiciennes se lèvent et courent vers le bar. Demain, elles tourneront encore et encore, rouleront sur le bitume, joueront dans les clubs, illumineront le cœur de la foule, feront briller les yeux des fans, comme autant d’étoiles sur la mer. Qu’importe l’affluence, tant que les étoiles rayonnent.
Finalement, la réponse est: pas tout de suite.
La foule:
"DAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!!!!!!!"
Les lumières s'allument, puis le public s’en va, les cris s’évanouissent. Il ne reste plus que les cinq musiciennes dans le bar. Elles s’installent au comptoir, sur une chaise haute, un sourire timide aux lèvres, et commandent une vodka au tenancier. Après un brin de paroles échangées sur le concert de ce soir, Natali se lève pour aller fumer une cigarette dehors. Svetlana la regarde puis lui lance :
"Attends-moi, je viens avec toi. A tout-à-l’heure, les filles !"
Les deux dernières membres fondatrices du groupe sortent du bar. Il fait nuit noire dehors, et plutôt bon. Une étoile brille dans le ciel et illumine l’horizon. Les deux femmes s’asseyent sur le ponton qui ne leur offre d’autre alternative que de plonger leur regard sur la mer Baltique.
Quelques minutes passent, les cigarettes se consument…
Puis Natali laisse s’envoler les premières paroles :
"Tu te souviens… C’est comme ça que tout a commencé.
- Ah bon ? Il me semble que les premières fois, on finissait dans les chiottes à vomir tout ce qu’on…
- Non, non, je ne te parle pas de ça. Je te parle de la salle. Etroite, avec peu de monde, comme nos premiers concerts, avant qu’on ne remplisse les stades dans le monde entier.
- (soupir) Oui, sauf aux Etats-Unis. Et ce n’est pas maintenant que ça risque de se produire, vu que les Guns viennent de sortir Chinese Democracy. On ne parle que de ça, en ce moment. »
Les deux femmes restent pensives, les yeux rivés sur l’océan qui s’ouvre à elles, un filet de vent caressant leur visage marqué par le temps qui passe, la tête pleine de souvenirs de stades bondés, de couvertures de magazines et de feux d’artifices, la réussite et tous les excès qui l’accompagnent: la trilogie du sex, drugs & rock n’roll appliquée à la lettre, les déchirements d’ego, les explosions de line-up, les séparations dans la douleur, les carrières solo peu fructueuses, les reformations « d’amies pour la vie et même au-delà », les pieds sur une montagne de billets verts et la tête prête à replonger dans l’infernale spirale du succès, jusqu’à ce que le public se laisse guider par une nouvelle étoile, suive une nouvelle mode…
Natali reprend :
"On venait de sortir Staya. On avait réussi à monopoliser l’attention assez vite, finalement.
- Tu as vu comme on était accoutrées durant les sessions photos ? Comment veux-tu qu’il en soit autrement ?
- Oui, c’est vrai. Natali se met à pouffer de rire. J’avais horreur de ces tenues. Moi qui suis plutôt du genre mémère casanière à porter des robes de chambre en sirotant ma bergamote, j’en ai eu pour mes frais. Mais c’était cool.
- Ah, ah, oui ! Je me rappelle de la tête que tu faisais quand tu es sortie de la cabine d’essayage du studio avec ta tenue en cuir et tes manches-résilles. Tu as même dit…
- Ensemble: "Présentez-moi Shrek et j’accepte de coucher pour réussir" !
Les deux femmes éclatent de rire. Svetlana poursuit :
"Le pire, c’était Marine, notre bassiste de l’époque, qui était particulièrement menue : elle était tellement excédée par les réflexions qu’elle se prenait lors des concerts, genre "la seule planche à pain au monde à travailler dans le froid" qu’elle a tout plaqué pendant la tournée du deuxième album.
- Elle est devenue quoi, au fait ?
- Elle a fait carrière en Angleterre. Ca marche bien pour elle, apparemment. Elle est mannequin, maintenant.
- Ah bon ? Elle pose pour quoi ?
- Une enseigne de balais.
- Et Julie, notre première guitariste, tu sais ce qu’elle est devenue depuis son accident au bras ?
- Oui, elle a arrêté le monde de la musique. Elle ne jouait plus aussi bien depuis qu’elle s’est cassé le bras. Elle vit avec un gars maintenant, un Français, qui s’est cassé la jambe, lui. Elle n’a pas de chance, elle est tombée sur notre plus grand fan dans ce pays, il écoute en boucle notre premier album, tous les jours. Alors ça lui rappelle des souvenirs, forcément."
Les deux femmes sourient. Puis le silence s’invite un instant.
Natali allume de nouveau une cigarette. Svetlana la suit. Natali reprend:
"Staya avait eu de bonnes critiques à l’époque ?
- C’était mitigé. L'un des défauts évoqués était qu'aucun titre ne se détachait vraiment des autres, c'était bien fichu mais ça manquait d'hymnes. Certains parlaient de musique d’un autre âge, les années 80 précisément. D’autres arguaient que nous n’avions rien apporté de neuf dans le genre, que nous ne faisions que reprendre une recette maintes fois éprouvée. Les plus mauvaises langues disaient évidemment que sans notre physique et nos tenues, on n’aurait pas été bien loin.
- Oui, une femme dans le metal attire déjà pas mal de polémiques de ce genre, alors un groupe entier…
- Mais on a eu pas mal d’avis favorables également. Le metal qu’on pratiquait était sans prétention, efficace et mélodique. On ne se prenait pas la tête comme ce fut le cas plus tard. Il y avait la pêche, une certaine envie d’en découdre, et rien d’autre, hormis le fait d’écrire des compos qui accrochent… Certaines personnes ont apprécié ça. L’album se tenait bien, ça riffait sec, il y avait des solos sympas, de belles harmonies par moments, et on avait écrit quelques compos qui touchaient le cœur des gens.
- Oui, les deux ballades, l’une électro-acoustique et la dernière chanson de l’album, jouée intégralement au piano et portée par la voix de Ksenia. Elle ne faisait pas preuve d’une technique irréprochable, mais elle avait un beau brin de voix et elle aimait chanter, toute naïve qu’elle était. Le feeling au-dessus du reste. Les stades s’en rappellent encore.
- De quoi est-elle morte déjà ?
- Oh, c’était une pustule sur le visage, genre Lemmy Kilmister, sauf que c’était cancéreux.
- Et pourquoi ne joue-t-on plus cette chanson au fait ?
- Ben parce qu’on a récupéré l’équivalent vocal de Lemmy depuis. »
Leur deuxième cigarette terminée, les deux femmes scrutent l’horizon.
Un jour, il leur faudra arrêter tout cela, tourner la page, descendre du manège pour revenir à des considérations plus terre-à-terre, quitter le grand cirque du rock n’roll afin de mener une vie normale pour une femme de bonne famille. La question est : quand ?
Un bruit de pas dans le sable se fait entendre. Quelqu’un s’approche. C’est la chanteuse du groupe.
"Ben alors, les filles, vous fichez quoi ? Le patron paie sa tournée. Dépêchez-vous. Demain, on a une date à Moscou, je vous rappelle.
- Ah, c’est toi Monica. On arrive."
Les musiciennes se lèvent et courent vers le bar. Demain, elles tourneront encore et encore, rouleront sur le bitume, joueront dans les clubs, illumineront le cœur de la foule, feront briller les yeux des fans, comme autant d’étoiles sur la mer. Qu’importe l’affluence, tant que les étoiles rayonnent.
Finalement, la réponse est: pas tout de suite.
